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Bibliothèque / Salle de vidéo
Sqweegel descendit l’escalier menant au sous-sol sombre et humide. Le plâtre des murs s’écaillait par endroits, révélant les minces lattes de bois au-dessous. Elles lui rappelaient toujours la cage thoracique qui apparaissait sur la carcasse déchiquetée de quelque énorme bête. Un animal éventré par un autre, plus gros, plus féroce.
Il eut envie de caresser du bout des doigts ces lattes, comme lorsqu’il était enfant, mais la moindre écharde l’obligerait à retourner dans la salle de couture. Et il était impatient de regarder le film qu’il avait en tête. Les images avaient plus de dix ans, mais elles l’obsédaient depuis l’aube.
Plus tard il avait compris pourquoi. C’était un signe.
Ainsi fonctionnait le mental de Sqweegel : en faisant des connexions subconscientes destinées à l’aider plus tard dans sa mission. La plus importante de sa vie de mortel.
Au sous-sol, l’air ne sentait pas la mort, mais d’innombrables cadavres qui luttaient les uns contre les autres. C’était un parfum suave de souffrance orné de notes aromatiques laborieusement recueillies au cours des dernières décennies. Aucun endroit sur terre n’avait cette odeur enivrante.
Il entra dans la petite pièce qui donnait sur le premier palier. Ses parois étaient recouvertes d’étagères en bois remplies de boîtiers de films8 mm.
Son pouce maigre recouvert de latex glissa sur les étiquettes.
Salope rousse avant mariage
17/4/92
La simple vision du texte dactylographié éveilla en lui des bribes de souvenirs : la robe en dentelle d’une blancheur d’os, déchirée, salie, roulée en boule dans un coin du cachot. La mariée livide et tremblante, le suppliant de lui dire quelle faute elle avait commise pendant qu’elle se débattait dans ses entraves. Sqweegel lui répondant : « Tu ne sais rien de la pureté. Tu devrais avoir honte d’oser porter une telle robe. Et maintenant, je vais te montrer ce que c’est de se présenter nue devant Dieu… »
Une autre étiquette, d’autres souvenirs…
Petite pute prétentieuse du journal télé
11/9/95
Oh, elle, il s’en souvenait dans les moindres détails. Elle croyait percer en s’intéressant à cette série de meurtres insolubles. Audimat. Gros contrats. Elle se vantait devant ses collègues d’être la seule à pouvoir résoudre le mystère. Elle méritait d’apprendre l’humilité, et Sqweegel n’avait été que trop heureux de lui infliger une bonne leçon en sondant avec sa caméra des parties de son corps qu’elle n’avait encore jamais vues. Ces parties cachées, sales, dégoulinantes, éclairées et filmées de main de maître, puis expédiées à la chaîne de télé pour le plaisir des spectateurs…
Mère égoïste qui ignore son fils
30/3/97
Tu as expulsé un être vivant de ton corps en ce monde, et ensuite tu lui tournes le dos ? Laisse-moi te montrer ce qui arrive quand Dieu t’abandonne, mon enfant…
Son pouce s’arrêta finalement sur celle qu’il cherchait.
Connasse de maîtresse du sénateur
28/7/98
Il prit le boîtier sur le rayonnage et l’emporta dans la salle de visionnage située au-dessous. C’était un home cinéma totalement insonorisé, construit bien avant que ce soit à la mode. Pas de DVD à la noix, ni même de vidéo : rien ne vaut l’excitation brutale qu’offre la pellicule déroulant ses vingt-quatre images par seconde.
Après avoir chargé la bobine sur le projecteur et l’avoir allumé, Sqweegel s’installa dans le fauteuil en cuir usé au centre de la pièce et s’immergea dans le déluge d’images.
Sa poitrine brûlait de désir. Il libéra son sexe de son costume et commença à se caresser. Lentement, au début. Mais, à mesure qu’avançait le film, le mouvement de son poignet se fit plus rapide, plus violent, sans qu’il quitte jamais l’écran des yeux.
Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas regardé ce film-là. Il avait oublié à quel point il était réussi.
Il avait oublié de quoi avaient l’air les entrailles de la fille.
Il rembobina le film et se le repassa. Il savait qu’il allait le regarder une bonne dizaine de fois avant l’aube. Il avait visionné tellement de vidéos de surveillance ces derniers mois qu’il avait besoin d’une petite distraction, d’une sorte de mise en bouche. De quoi lui rappeler ce qu’il était et ce qu’il pouvait faire au nom du Seigneur.
Le décompte clignota à l’écran : 5… 4… 3… 2… puis la lumière rouge sang s’alluma dans la salle d’exécution.
Pour visionner le film en 8 mm, connectez-vous sur LEVEL26.com et tapez le mot de passe : snuff.